Master Dji, le père de la culture hip-hop en Haïti

Master Dji, le père de la culture hip-hop en Haïti

Si les adeptes de la culture hip-hop à travers le monde manifestent toujours beaucoup d’estime à l’égard de Kool DJ Herc comme étant la personne à détenir la paternité de ce mouvement, en Haïti, les éloges sont surtout taris à l’endroit de Master Dji, lui, qui a introduit ce grand mouvement culturel d’origine nord-américaine dans le pays. Ce genre musical est manifesté par des formes artistiques variées telles le Rap (ou MCing), le DJing, le Break Dancing (ou b-boying/b-girling), le Graffiti et le Beatboxing. “Vedette Mag” vous propose de découvrir cette légende de la musique haïtienne

*Enfance et jeunesse
exemplaires*

Né Georges Lys Hérard le 30 mai 1961 à Port-au-Prince (Turgeau) d’une famille de quatre (4) enfants, Master Dji est fils d’Antoine Rodolphe Hérard. Celui-ci fut maire de Port-au-Prince et aussi homme de radio. Il a connu le succès en tant qu’animateur et journaliste sportif au sein de la radio HH2S en Haïti.

Master Dji a fait ses études classiques à l’Institution Saint Louis de Conzague. Après son baccalauréat, pour plaire à son père, il a intégré la Faculté de Médecine et de Pharmacie( FMP) de l’Université d’État D’Haïti (UEH), une étude qu’il a promptement abandonnée, soit un an plus tard. Après cet abandon, Master Dji s’est rendu en France toujours en vue de poursuivre son parcours académique. Y arrivé, sa passion pour la musique a pris le dessus sur les études. De ce fait, il a décidé d’offrir ses services à la radio Nova en France pour animer une émission de musique, ce qu’il avait commencé à faire en 1976 en Haïti à la radio Port-au-Prince, propriété de son père. Très grand passionné de lecture, Georges Lys Hérard se procurait toujours de nouveaux ouvrages. En ce sens, celui qui aurait eu 60 ans cette année fut un mentor et un modèle pour les jeunes de son quartier, témoigne assez souvent Marc Exavier, homme de lettres et professeur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de l’Université d’État d’Haïti (UEH).

Une passion pour la musique

Selon le témoignage de plus d’un, Georges Lys Hérard a trouvé la passion de la musique dès son jeune âge. Il était souvent considéré comme un jeune en avance sur son temps. Il collectionnait beaucoup de disques dont principalement ceux des artistes et groupes étrangers. En fréquentant quotidiennement la Radio Port-au-Prince, il a eu l’opportunité de découvrir plusieurs genres musicaux en vogue à l’époque. En 1977, alors âgé seulement de 16 ans, il a suivi les traces de son père lorsqu’il animait à la radio une émission intitulée “Made In Usa”, programme conçu dans le but de mettre en rotation des tubes de la musique américaine sur les ondes d’Haïti.

Début de la culture hip-hop en Haïti

Le rap comme musique a fait son apparition en Haïti avec Georges Lys Hérard en 1979 lorsqu’il jouait au cour de son émission la chanson titrée “Rapper Delight” du groupe américain Sugar Hill Gang.

Personnalité éclectique avec plusieurs cordes à son arc, Master Dji a lancé une carrière dans la musique. Ainsi, en été 1982, il a mis en rotation sur la bande FM son premier morceau intitulé “Vakans” en collaboration avec une voix féminine prénommée Sylvie. Les passionnés du Rap haïtien reconnaissent à l’unanimité ce son comme étant la première du rap que la musique haïtienne ait connue, raison pour laquelle on considère 1982 comme l’année du début du rap en Haïti.

Ayant évolué comme DJ, animateur de radio, rappeur et chanteur, Master Dji fut le premier à avoir intronisé un ensemble de pratiques de la culture hip-hop en Haïti. En 1984, il a organisé un “Block Party” à Delmas 65. Enyre 1984-l et 1985. Il a dirigé un concours de danse hip-hop “Break dance” à Rex Théâtre (Champ-de-mars). En 1987, il a mis sur pied un grand concours où les jeunes DJs de l’époque pouvaient mettre en exergue leur talent.

Une discographie diversifiée

Master Dji est une voix consciente et contestataire à travers une discographie diversifiée. En 1987, un an après le départ de Jean-Claude Duvalier au pouvoir, avec la chanson intitulée “Sispann”, le jeune homme à multi-casquettes a connu son premier grand succès dans la musique haïtienne. Dans la production de ce morceau, il a samplé la voix du Pape Jean-Paul ll, à travers sa prophétique phrase “Il faut que quelque chose change”, prononcée lors de sa visite en Haïti le 9 mars 1983 en présence du président Jean-Claude Duvalier.

“Sispann” est une chanson tube à travers laquelle le musicien légendaire a dénoncé la situation politique malsaine qui régnait au pays.

En 1989, le père du rap haïtien a sorti son seul et unique album solo intitulé “Politik Pa M”. La petite histoire rapporte que le titre homonyme du disque était un clash, Master Dji s’en prenait à un guitariste compas, si l’on tient compte de cette anecdote, on peut considérer “Politik Pa M” comme premier album du rap haïtien, mais aussi le titre de la première chanson polémique que celui-ci ait connu.

“Pou Timoun Yo”,”Nan Nan Nan”, “Chimen Paradi”, “Tann Pou Tann”, “Petite fille des Tropiques”, “W ale”, “Sispann”, tels sont les titres comportant cet album sorti sous le label Bwa Patat. Avec “Politik Pa M” Master Dji a remporté la deuxième place du Grand Prix des Médias au concours RFI découvertes (Prix RFI découvertes) en1989. Ayant connu un grand succès avec cet album, deux ans plus tard, soit en 1991, il l’a publié à nouveau dans une autre version tout en ajoutant deux morceaux inédits intitulés “Cach Cach Lanmou” et ” House of Love”, mais sous l’appellation de “Master Dji”.

Une personnalité altruiste

Sens de l’innovation, verbe facile, forte capacité à scotcher les auditeurs, Master Dji a mis tout le paquet au rendez-vous et, fait de lui une voix très prisée de la radio. Il fut une véritable Superstar, lui, qu’une pléiade de jeunes artistes manifestaient assidûment l’envie de fréquenter.

Après son passage avec brio au sein de la radio Port-au-Prince et Métropole en Haïti, Nova en France, et Kiss FM aux USA, même dans une radio en Afrique et au Japon, en 1991, Master Dji se trouvait sur les ondes de la radio Tropic FM, une station innovatrice. Ayant été à l’époque directeur de la programmation et animateur dans cette nouvelle née de la sphère radiophonique du pays, par le biais de ses émissions Rap Nation et Samedi en Folie, il a fait preuve d’altruisme en permettant au public de découvrir de nombreux jeunes artistes.

Avec de nouveaux talents, Georges Lys Hérard a produit une compilation de disques comportant des chansons rap et ragga, qui allait connaître un énorme succès.Toujours avec des jeunes artistes Rap et Ragga, Master Dji a sorti un album intitulé “Match La Rèd”, opus sur lequel on trouve des artistes comme: T-Bird, Elyrac, Supa Deno, Frantzy Jamaican, Trezò, MC, Storm, BOP et MC G.

Les exploits de Master Dji ne se résument pas à la musique. Son passage avec éclat dans la sphère médiatique haïtienne a fait sûrement tache d’huile. Sous sa directive, en plein milieu des années 1980, les lecteurs haïtiens ont eu droit à Tap Tap magazine, l’ancêtre de Ticket Magazine, du journal Le Nouvelliste.

Dans une interview accordée à la rédaction Vedette Mag, des personnalités culturelles comme Alex Abellard et Jhonny “Djecee” Celicourt se sont livrés sur Master Dji. “Master Dji m’a beaucoup inspiré, il fait partie des artistes et personnalités qui me poussaient à me lancer dans la danse, dans la radio et aussi dans la musique, précise l’analyste musical Jhonny Célicourt.
Georges Lys Hérard est aussi le rappeur qui a allumé ma curiosité afin de découvrir la musique Rap.

Né et grandi dans le même quartier que Master Dji à (Bwa Patat), Alex Abellard du groupe Zin le présente comme un grand ami et un véritable Génie. “Il a eu une énorme capacité à s’exprimer dans la langue française, il obtenait souvent la note maximale (10) pour ses dissertations à St Louis de Gonzague, humm même pas besoin de te dire plus !” se souvient le directeur musical du groupe Zin.

Des anecdotes intéressantes

“J’ai été le premier à lui faire jouer de la musique Rap à la radio en Haïti”, déclare Alex Abellard qui dit avoir enregistré depuis les États-Unis le morceau intitulé “Rappers delight” du groupe Sugar Hill Gang, et en bon passionné de la musique, Master Dji l’a joué à radio Port-au-Prince, fin des années 70, c’était une première en Haïti.

Master Dji un Superstar : “‘j’ai eu la chance de lui voir pendant une seule fois, ce jour là, il s’offrait en spectacle comme DJ, en participant à une journée récréative. Je suis ellement frémi, je l’ai appelé avec une voix tremblante. Sans hésitation, il m’a rapproché et m’a serré la main tout en disant “Ça va toi ? “. Toujours avec ma voix qui n’a cessé de trembler, je le réponds “Oui !”. J’ai passé presqu’une semaine sans avoir touché à l’eau la main à laquelle il m’a serré” , se rappelle Jhonny Celicourt.

Malgré tout, Master Dji n’a pas fait l’unanimité. En 1988, dans une activité au Théâtre National où plusieurs artistes renommés de l’époque dont Manno Charlemagne, il a connu une mésaventure face aux insultes et dénigrements venant des gens conservateurs dans la salle. Aujourd’hui, certains le reconnaissent comme étant la personne, servant le tuyau, pour l’arrivée du Rap en Haïti, mais ils le considèrent plutôt comme un chanteur plutôt qu’un rappeur.

Questionné à ce sujet, Djecee se montre Complètement en désaccord. “J’aurais aimé avoir un assis avec ces gens-là afin qu’ils m’ expliquent ce que c’est un rappeur. Quand je pense à certains rappeurs en Haïti, ou encore à l’étranger, surtout aux États Unis, c’est évident que je ne vais pas parler de Master Dji comme étant un excellent rappeur, surtout en ce qui concerne ses techniques de “flow” , il faut reconnaître aussi que plusieurs aspects du Rap connaissent énormément d’évolutions comparativement à l’époque où il évoluait, ce qui reste sûr et certain, personne ne peut pas dire que Master Dji n’était pas un rappeur, à moins qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent. “Pwen boul!” >>, a déploré Djecee.

Et pour celui qui avait l’habitude de produire des (beats) sur différents projets, dont la chanson “Politik Pa M”, c’est toujours le même avis : “Je ne sais pas vraiment les critères établis pour définir un rappeur, mais à mon avis, de par sa façon de scander les mots, Master Dji a été beaucoup plus rappeur que chanteur “, a réagit Alex Abellard. Ce dernier nous confie qu’il a notamment produit la chanson “Politik Pa M” du fait que Master Dji a voulu un effet qu’il avait l’habitude d’auditionné dans un morceau de Micheal Jackson. S’agissant de la question où “Politik Pa M” serait un clash en direction d’un guitariste du groupe Zin, il a apporté un démenti formel. “Cette histoire est complètement fausse, d’ailleurs, comme je te confie, c’est moi qui ai produit cette chanson donc s’il s’agissait d’un clash à l’endroit d’un guitariste du groupe Zin, je l’aurais pas fait! (Rireee) , a-t-il ajouté.

Malheureusement, Master Dji est mort après une longue maladie, le 21 mai 1994, 9 jours avant la date qui allait marquer ses 33 ans. Ce qui reste indélébile, il est le père du Rap haïtien. Tous ses anciens collaborateurs et collaboratrices comme Fabrice Rouzier, Fred Brutus, Sophia Désir, Ralph Boncy, Raphaël Fequière, Fritz Gérald Calixte, Elie Jean, Marc Lubin, Georges Léon Émile, sa soeur Carline Piram Hérard et tant d’autres, parlent de lui comme un homme à capacité exceptionnelle.

Guy Valovsky Mathieu

Guy Valovsky Mathieu

Guy Valovsky Mathieu est journaliste et étudiant mémorant en Sciences de l'Éducation (Philosophie et Lettres) à l'Université Américaine des Sciences Modernes d'Haïti (UNASMOH). Pour l'instant, il est rédacteur à Vedette Mag. Devenir journaliste, c'est avoir pour mission relater les faits au jour le jour et de ne se soucier que de la vérité, voilà en quoi consiste son leitmotiv pour pratiquer ce beau métier.

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