Jessica Nazaire, écrivaine, journaliste et juriste, femme de lettre abusée par la mort

Jessica Nazaire, écrivaine, journaliste et juriste, femme de lettre abusée par la mort

Il est des personnalités dont on ne peut tarir d’éloges, même après leur départ de ce bas monde. Elle est l’une des rares jeunes filles de sa trempe qu’a connues sa génération. Fille de Port-au-Prince, Jessica Nazaire s’est fait une grande renommée, que ce soit dans le milieu littéraire haïtien ou dans la sphère médiatique, particulièrement dans la presse en ligne. À 24 ans seulement, frappée d’une pneumonie, elle est fauchée par l’irrécusable juge de la vie : la mort. C’est une âme qui est descendue de son ciel un peu trop tôt. Un monument monolithe pour la littérature haïtienne.

Jessica Nazaire a vu le jour le 17 juillet 1997 dans la capitale haïtienne. En ce qui concerne ses études primaires et secondaires, elle les a faites brillamment au collège Interfamilia et au Lycée Marie Jeanne de Port-au-Prince. Ainée d’une fratrie de quatre enfants (3 filles et un garçon), Jessica a été élevée dans une famille chrétienne, de dénomination adventiste. Contre certains interdits religieux, contre des injustices sociales et contre la corruption, la Port-au-Princienne a voulu toujours se battre. Les études classiques de Jessica, une fois bouclées en 2015, elle s’est vite dirigée vers l’Université d’État d’Haiti (UEH), alors qu’elle n’avait que dix-huit ans, pour réaliser des études en Droit. Étant en troisième année de ce cycle d’études en 2018, la jeune fille s’est fait inscrire à l’ISNAC (Centre de Formation en Communication et en Administration) pour étudier le journalisme. Son amour démesuré pour le savoir et l’écriture l’a emmenée en mars de l’année suivante, soit en 2019, à la Faculté des Sciences Humaines où elle a entamé des études en Communication Sociale. Au cours de cette même année, elle a publié son premier et, malheureusement, son dernier recueil de poèmes intitulé << Pwa Grate», paru aux Éditions la Rosée.

Écrivaine mélancolique

Le tremblement de terre du douze janvier 2010 a enlevé à Jessica un être très cher : sa mère. Au tournant de ce drame qu’elle a considéré comme une période troublée de sa vie, Jess, appelée affectueusement par ses plus proches, et âgée seulement de treize ans à cette époque, s’est tournée vers l’écriture pour noyer sa tristesse et pour se réinventer.

Des poèmes, elle en a écrit beaucoup. Jessica aimait la vie et voulait la vivre pleinement. À chaque fois que celle-ci voulait lui donner du fil à retordre, Lee, son nom de plume, a toujours recouru à son stylo et/ou à son ordinateur pour coucher ses vers ou ficeler ses articles. Son amie Dougenie Michelle Archille qui la côtoyait depuis près de 5 ans, la décrit comme une personne mélancolique et flegmatique. On dirait que la mort a été toujours une amie qu’elle courtisait presque tout au long de sa vie. Ses différents poèmes et ses autres textes peuvent en témoigner.

« Tout au long de mon enfance, j’ai toujours vécu dans un coin détaché comme un os dans la chair fraîche du grand monde. Un coin qui m’a d’abord paru propre à moi-même et à mes rêves d’adolescents. Un coin comme ça. Tout simplement. Un coin où je n’avais pas vraiment besoin de me fendre en quatre pour me sentir vivante dans mon corps de petite fille brûlante de passions. J’ai vécu comme dans un poing fermé. Loin du bruit. Dans le silence des ombres. J’ai toujours été assez dure avec moi-même », a écrit Jessica Nazaire dans son autobiographie. « J’écris pour raviver mon âme endolorie ».

Journaliste passionnée

Avant de boucler ses études en journalisme, Jessica Nazaire, passionnée du 4eme pouvoir, prêtait déjà sa plume à quelques médias en ligne de la place, dont << Presse Lakay ». Faisant preuve d’une capacité hors pair dans ce domaine, elle a intégré d’autres médias tels que Balistrad, Vedette Mag et Écho Ayiti où elle occupait le poste de Secrétaire de Rédaction avant sa mort. Perfectionniste comme pas une, la native de Cancer a publié bon nombre d’articles dans ces médias. Ses thématiques de prédilection restent l’art et la culture avec, bien sûr, un penchant pour la problématique de la femme, pour laquelle elle revendiquait toujours une extension des rôles et de leurs droits. Le hic, le jour même de sa séparation d’avec la terre, son dernier article titré « Survol du mouvement féminisme en Haïti » a été publié dans la colonne du journal Écho Ayiti.

Femme engagée

Femme engagée, Jessica Nazaire portait sa plume à la cause de la gent féminine. Ses écrits vont à l’encontre des discours stéréotypés, des tabous et des interdits. Dans « Et si tu me laissais faire », un article de blog, Lee se délibère de son envie. Envie de dire je t’aime à un gars sans être pour autant qualifiée pute. « Je me suis ressentie quasiment affranchie des tourments de ces êtres qui demeurent encore détenus dans les cages de certains concepts vagues et infondés […]Moi je pense que ç’aurait été un grand honneur pour les garçons s’ils ont été côtoyés avec autant de sincérité par des filles follement chevauchées par un coup de foudre aussi intense comme le mien ». Dans Replik, Lee joue une belle partition où le système patriarcat est mis en déroute. Un poème qui revendique le droit des femmes. Un poème qui porte la voix féminine sur la table d’égalité. Outre ses vers et ses articles de blog qui parlent des femmes, le mémoire de sortie de Jessica, qui était en phase finale de rédaction pour l’obtention du grade de licenciée en Droit, se porte sur les conditions des femmes incarcérées à la prison civile de Cabaret.

Des prix pour Jessica Nazaire

En septembre 2018, cette pépite de la littérature haïtienne, a terminé à la première place au concours Petro Poésie organisé par l’agence en ligne Mus’Elles. Participée au concours baptisé « Fanm ak Gason egal ego » réalisé sous l’hospice de C3 éditions, Jessica Nazaire a été retenue, sans surprise, parmi les cinq gagnantes avec son texte Replik, le seul poème de cette anthologie titrée « C’est une femme qui parle ». En 2021, à la foire Livres en Folie, la jeune poétesse était présente pour signer cet ouvrage collectif.

Luttant depuis plusieurs jours contre une infection pulmonaire, Jessica Nazaire a passé environ trois jours dans le coma, avant de faire son long voyage pour l’autre rive, le 12 mars dernier. Pour saluer la mémoire et rendre hommage à cette femme de lettre partie trop tôt, plusieurs écrivains et écrivaines, membres des Éditions la Rosée, dont Marvens Jeanty, Perle Noire, Selmy Accilien, Rick de L’ile et Jean Euphèle Milcé, ont fait parler leur plume à travers des poèmes, en créole et en français. Écrivaine, juriste, journaliste et étudiante en Communication Sociale, femme engagée, Jessica Lee Jess Nazaire est cette femme abusée par la mort.

« Se mwen ki ka di w

Kouman lapli fè arivis

Lè metewo fè repòtaj sou li

Kouman lanmò vizite n dri

Lè gran ravin ak lasin avili

Palmantè

Mande m

Ma di w kouman gaz monte

Tresayi lari

Takle pye diskou laprezidans »

(Pwa Grate, 2019)

Wilder Sylvain

Wilder Sylvain

Wilder Sylvain est journaliste et étudiant en Sociologie à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) de l'Université d'État d'Haïti (UEH). Pour l'instant, il occupe le poste de Secrétaire de Rédaction à Vedette Mag. Rien de mieux que d'utiliser la plume pour aider ceux et celles qui en ont besoin. Être utile à plein temps, voilà son crédo. Entre le Journalisme et la Sociologie, il s'y met.

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