Le suicide d’Edmond Laforest, une démonstration patriotique
Pierre François Joseph Benoit Rosalvo Bobo disait préférer mourir enveloppé dans son drapeau que de servir l’étranger. Celui-ci n’est pas le seul Haïtien à avoir accordé un oui à la mort en guise d’être un simple instrument entre les mains d’un autre pays. L’immense écrivain du XXème siècle haïtien, Edmond Laforest, s’est armé le courage pour s’être offert la mort face à la présence des marines américaines sur le sol haïtien en 1915. Sa mort révèle d’une âme patriotique, sensible à la cause du territoire, et un acte héroïque poussé par un nationalisme pur. Le nom d’Edmond Laforest, peu cité dans l’histoire de la littérature haïtienne, pourrait s’ajouter à la liste des martyrs, d’une manière ou d’une autre, de l’occupation américaine d’Haïti.
28 juillet 1915. Des troupes militaires américaines ont envahi la terre de Jean Jacques Dessalines. Une terre résultant d’une longue lutte menée contre les forces esclavagistes européennes, notamment la France. Cet envahissement malhonnête porte un mauvais coup à la belle histoire de ce pays, qui a brisé les chaines de l’esclavage, de la servitude et de la discrimination raciale. Ce, au prix du sang. Cette nouvelle page d’histoire a mis à mal ne serait-ce qu’un groupe d’acteurs sociaux en Haïti. Des journalistes, des paysans et des écrivains se sont soulevés contre l’ingérence des Américains. Parmi eux : Edmond Laforest, lui, écrivain très prolifique menant une vie littéraire dense.
«Il faut mourir fièrement quand on ne peut pas vivre fièrement», écrivait le philosophe Allemand Friedrich Nietzsche, dans son ouvrage « Gai savoir». Edmond Laforest, journaliste, poète, écrivain et professeur, ne pouvant pas vivre fièrement, s’est jeté dans sa propre piscine le 17 octobre 1915, avec un dictionnaire Larousse attaché à son cou, afin de mourir en toute fierté devant la présence des forces militaires américaines.
La terre haïtienne boit son sang, mais pour une bonne cause, semble-t-il. Edmond Laforest s’offre en holocauste. S’allier à la cause juste de sa patrie et défendre son territoire sont, pour lui, le fait de se livrer à la mort, l’une des muses privilégiées de certains écrivains français comme Paul Eluard, Victor Hugo. Concernant le suicide d’Edmond Laforest, c’est l’écrivain Pierre-Raymond Dumas qui a eu gain de cause. L’artisan de lettres a publié dans le quotidien Le Nouvelliste un article titré «Edmond Laforest, le suicide patriotique » qui décrit Laforest comme un «rebelle à lui-même». Dumas considère son suicide comme une mort héroïque, une mort de protestation et de rupture. Un iconoclaste de première. Un Condamné, au fond.
17 octobre 1806-17 Octobre 1915 : similitude !
La date du suicide d’Edmond Laforest et celle de l’assassinat de Jean Jaques Dessalines ont curieusement coïncidé. Ce qui n’est, probablement, pas innocent, compte tenu de leur symbolisme héroïque. Dessalines, on se le rappelle, a été assassiné après avoir mis en déroute le système esclavagiste, exclusiviste et sanguinaire de la France, pour ensuite faire place à une nouvelle société libre : Haïti. 17 octobre 1806, il est mort assassiné. 109 ans après, soit 17 octobre 1915, l’auteur du recueil «Cendres et flammes» s’est donné la mort après avoir contesté l’occupation américaine d’Haïti dans le journal ‘La Patrie”.
Tout comme Rosalvo Bobo, Pierre Sully, Charlemagne Péralte et tant d’autres, Edmond Laforest, fils de Jérémie et le cousin du grand poète Etzer Villaire, déjà angoissé par la crise interne du pays, ne voulait nullement gober la présence des forces impérialistes américaines en Haïti. L’héroïsme-patriotique d’Edmond Laforest ou son attachement à son alma mater est innommable, si on doit se référer à son courage de mettre fin à sa propre vie. Le journal Haïti Inter, dans sa chronique littéraire, a écrit ceci : « Edmond Laforest, le suicide comme acte ultime de rébellion».
Né le 20 juin 1876 à Jérémie, chef lieu du Département de la Grand’Anse, Edmond Laforest était un poète, écrivain, dramaturge et journaliste. Il était également professeur de mathématiques et de français. Le Jérémien est reconnu surtout pour ses œuvres Poèmes mélancoliques (1901) Sonnets-Médaillons (1909) et Cendres et flammes (1912), considéré comme l’œuvre prémonitoire de l’auteur. Au journal Le Nouvelliste, il publiait également des contes. Devenu bohème, Edmond Laforest, artiste maudit et père de 5 enfants s’accroche à la mort patriotiquement pour dire non à l’Occupation américaine d’Haïti.